Le dernier album de Saez vient de sortir, vendredi passé Je ne fais pas un grand mystère de mon addiction à ses morceaux, alors forcément que j’attendais cet album avec une impatience non dissimulée. Le premier single sorti est cependant venu ruiner la fête, mais on ne saurait juger un disque à l’aune d’un seul titre.  Je vais donc vous partager quelques impressions et remarques sur l’ensemble de cet album.

Tout d’abord, quelques mots sur le titre.  Le # est évidemment une référence aux réseaux sociaux, thème qui reviendra tout au long de l’album. Il faut dire que quelque temps avant l’annonce des dates de l’album, Saez teasait sur les réseaux sociaux, exhortant les gens à cliquer, à liker, à s’abonner, sous peine de ne pas avoir droit à l’album. C’était bien entendu pour se gausser de pratiques courantes sur ces plate-formes par des auteurs qui passent à la mode suivante dès que possible. En utilisant ce signe dans son titre, il souhaite dresser un instantané de l’humanité et dénoncer comme à son habitude certains travers.

Sur la pochette, on retrouve Ana Moreau, qui était présente dans les interludes cinématographiques et sur la pochette de Miami, sorti il y a 5 ans maintenant. Elle y apparait poitrine découverte, pendentif en crucifix, le portable en mode selfie et un pistolet sur la tempe, tandis qu’une autre main tient un deuxième flingue, comme une injonction extérieure à prendre ce « suicide selfie ». Je note que, cadré comme cela, on ne verrait que le haut de la poitrine et le bout du canon sur la tempe. C’est un peu comme sur les réseaux sociaux, où l’on ne voit jamais ce qui est hors du cadre. Est-ce une clé de lecture de l’album ? On notera aussi qu’à l’envers de l’album, la photo est inversée, le regard déterminé d’Ana et le canon de l’arme plongent dans les yeux du spectateur, comme si la victime se retournait contre son bourreau.

Mais passons au premier morceau, Humanité (sans hashtag cette fois). Le début me fait penser à Anarchitectures, juste la voix, puis la musique qui commence, presque comme un battement de cœur, l’évocation d’une naissance. Le texte est au futur, ce qui donne un ton prophétique à la chanson. On y retrouve les dénonciations habituelles de Saez : désastre écologique, anti-capitalisme, une certaine futilité,  la religion bien sûr et tout ce qui peut oppresser l’être humain. Au milieu du morceau, petite intermède instrumentale avant que le morceau ne s’envole et se termine sur : Allez, crève, fils de pute, allez, crève fils de Dieu, dyptique rappelant Marie ou Marilyne.

Deuxième morceau, Les Guerres des Mondes. L’entier de la chanson est construite sur des oppositions, renforçant l’idée de lutte, de nos luttes internes et sociétales. Puis vient le questionnement spirituel, comme une dimension qui manquerait à l’homme moderne. Le morceau se termine sur une répétition de  la phrase « C’est la mort » , qui est le titre du morceau suivant.

La mort conclut l’ouverture de l’album. On reste dans l’énumération de ce que Saez estime être les signes de la fin d’une humanité, une fin qui n’est cependant pas inéluctable, la chanson se terminant par un appel aux armes, rassemblant ceux qui font le coeur vivant du monde selon lui. Il en profite pour adresser une pique au mouvement #balancetonporc, ce qui est un peu trop convenu à mon goût. Il suffit aujourd’hui de taper sur un mouvement de contestation pour se sentir subversif… Ou a contrario, il s’indigne du fait qu’il faille que le peuple balance pour que la justice réagisse…

À partir du quatrième morceau, je sens comme une rupture, on a l’impression que les trois premières chansons sont des rescapées du triple de Lulu ou Messina tandis que les huit suivantes m’évoquent vraiment l’album Miami. Les thèmes changent, se font plus lourdingues, le vocabulaire s’appauvrit et se vulgarise.

Dans le quatrième morceau, J’envoie,  on a encore une énumération. Le personnage campé par Damien met du contenu sur les réseaux sociaux et comme on pouvait s’y attendre, c’est du contenu très égocentrique et avec un engagement feint: J’envoie mes points de vue politiques J’envoie, ouais, tant qu’ça fait du fric. Cela laisse à penser qu’il ne s’attaque pas forcément à tous les contenus mais uniquement celui poussé par les influenceurs, comme on dit. Soyons honnêtes, la plupart de ces gens qui étalent leurs vies ou leurs exploits sont des marchands de vide. Je remarque qu’il manque davantage de bouts de phrases, comme s’il fallait aller le plus vite possible, de l’anglais aussi (on s’adresse au monde entier après tout). Mais peut-être que tout cela n’est qu’un appel au secours: J’envoie satellite SOS, J’envoie comme un appel détresse.

P’tite pute est le premier morceau qui est sorti. J’avoue qu’il est problématique. Le morceau est assez vulgaire, en tout cas au vu de ce que Saez a l’habitude de nous proposer. C’est un peu la suite de J’envoie, cette fois-ci la charge se fait plus franche contre les influenceurs. Ce que je déplore, c’est que le féminin est utilisé exclusivement, on pourrait croire qu’il ne s’adresse ici qu’aux femmes. Pour être honnête, je doute qu’il apprécie les adeptes de musculation (J’accuse: la salle de sport sur des machines, faut s’essouffler faut s’entraîner)

La belle au bois, musicalement, évoque la musique de boite, avec ses touches electro. C’est effectivement très dansant. Thématiquement, on reste sur une femme de jeunesse dorée, qui s’exhibe sur Instagram, sniffe de la coke. Saez estime qu’elle se prostitue pour des avantages de notoriété (Quand elle poste son cul à qui veut bien liker)

Amour criminel ralentit le tempo mais on reste dans les thématiques du texte précédent, avec une touche plus personnelle par contre. On dirait que Saez s’adresse ici directement à une personne qu’il a connue, comme la redescente après une trop grande dose de Debbie. Il évoque des amours mouvementées, mâtinées de poudre blanche, et un éternel retour dans cette relation malsaine pour l’un comme pour l’autre…

Elle aimait se faire liker traite, oh surprise, encore du même sujet. Ca commence à en devenir lassant, d’autant plus qu’on retrouve encore cette manie de l’énumération

L’attentat est doté d’une instrumentalisation toute en légèreté, contrastant avec un titre lourd de significations. Les rimes sont faciles, le vocabulaire un peu pauvre, avec des touches de verlan.  J’avoue ne pas trop voir où il veut en venir…

Je soupçonne Burqa d’être une chanson à prendre à contre-pied. Saez énumère toute une série de groupes sociaux et dans le refrain, semble vouloir nous dire que peu importe où l’on se trouve, le beauf de base se dira: moi j’dis les moches en burqa et puis les bonnes en bikini.  Vous avez sûrement même dû entendre cette phrase telle quelle dans la bouche du bourré qui fait partie des meubles au troquet du coin…

Ma religieuse sauve un peu la fin de cet album. Bon, il n’y a pas de miracle, on reste quand même dans un registre assez vulgaire , avec une évocation peu subtile de la sainte onction faciale. Je crois que le texte se veut provocateur, pour faire hérisser les poils des religieux de tous bords: À tous les apôtres ignorants Puis à toutes les communautés Qui voudraient ouais lui faire la peau Elle gardera le poing levé. Musicalement, on retrouve une construction déjà vue maintes fois chez Saez: un début à la guitare sèche, puis une partie très rock.

Et voilà, on est enfin parvenus à la fin de cet album. Finiront dans ma playlist L’Humanité, La Guerre des Mondes et La Mort à coup sûr. J’écouterai probablement aussi Ma Religieuse de temps à autres, mais le reste, je crois ne même pas avoir envie de les réentendre un jour. Ai-je grandi, est-ce que je supporte moins la lourdeur humaine? Suis-je simplement déçu par cet opus, trop habitué à une plume fine et distinguée? Sans doute oui à toutes ces questions… Et punaise que c’est dommage, car musicalement l’album est osé, voire même brillant, l’instru de La Belle au bois est juste géniale avec ses touches synth.

Les vrais savent que Saez a une production qui frise l’industriel. Je pense franchement qu’il aurait pu faire l’économie de cet album et en réserver 3-4 pour A Dieu, qui paraîtra normalement en début d’année prochaine.  Les nombreux morceaux en mode « pute-coke-foutre » ne l’honorent pas du tout, lui qui avait habitué son public à bien mieux, même dans le registre « je pourris mon ex et toutes les femmes sont pareilles » comme avec Putains vous m’aurez plus.  Si je devais lui retourner une parole de chanson, ça serait celle-là:

Damien, arrête un peu de vomir comme ça
Tu fais chier à chialer oui pour ta fille de joie

Enfin, pour ceux qui voudraient se forger un avis par eux-mêmes, je vous laisse le lien vers Spotify et les paroles, transcrites par l’équipe de SaezLive.