On est en décembre, le soleil brille plus que jamais. Je suis montée sur le toit de mon immeuble et je laisse mon regard se perdre au loin, guettant un horizon quelque part, loin derrière la ville, loin au dessus des nuages. La cité semble si tranquille, et pourtant, s’ils savaient… Là, dans cette tour aux couleurs rongées par le temps, un homme a frappé sa femme. À côté d’eux, dans un petit studio sale et crasseux, un ouvrier vient de se suicider car il a été licencié. Quelques portes à côté, deux garçonnets regardent la télé tandis que leur mère pleure dans la salle de bains. Ce soir encore, elle va devoir vendre son corps pour qu’ils aient à manger.

Dans le jardin public non loin de là, une âme fragile de plus vient de s’envoler, victime d’une overdose de mal-être. Son cadavre, émacié par des années de toxicomanie, sera découvert dans les buissons par des gamins jouant au ballon. Non loin de là, une petite rue tranquille. Un homme, qui est sorti plus tôt du boulot, la traverse pour aller chercher des fleurs pour l’anniversaire de sa femme. Ce qu’il ne sait pas, c’est que lorsqu’il poussera la porte de l’appartement, il entendra les cris de jouissance de son épouse, en train d’être prise par un des étudiants de sa classe.

Et dans la tour de verre dont les reflets aveuglent ceux qui essaient de la regarder, un PDG annonce à ses actionnaires que les bénéfices ont encore augmenté cette année. Ce qu’il ne dit pas, c’est la colère des employés qu’il a licenciés ou la prime qu’il a donné au comptable qui a détourné une partie des fonds de pension. Ni la jeune stagiaire qu’il a violée dans son bureau…

Et moi je reste là, dressée au bord du vide, appuyée contre la barrière, à imaginer tous ces rêves qui se brisent, ces destins qui se vomissent, ce monde qui nous a enfanté mais qu’on ne reconnait plus. Tout s’embrouille dans ma tête, cette souffrance me monte à l’âme comme au cœur, mon estomac se noue devant ces horreurs aux apparences de paradis. Aujourd’hui, je n’ai plus d’autres rêves que de partir, m’envoler car ce monde me pèse, m’étouffe et me torture.

Me libérer de mes chaînes, enfin pouvoir respirer, trouver la paix de la mort dans l’apocalypse de la vie. Tu me rejoins enfin, tu m’enlaces de tes bras comme l’amant dont j’ai toujours rêvé. Ton murmure qui m’invite au départ est comme les mots doux que je n’ai jamais entendus. Ta présence m’apaise et me réconforte, je suis prête maintenant à me laisser aller dans tes bras. Emporte-moi loin d’ici, mon beau cavalier noir, je t’en prie. Tu m’obsèdes et tu me fascines, tu as pénétré au plus profond de moi, je veux ne faire qu’un avec toi, m’abandonner totalement à ton étreinte fatale et enfin…

Enfin pouvoir fermer les yeux…