Ce soir, le monde est comme tous les autres soirs : triste et sans couleurs. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. En fait, il les a perdues, elles se sont évaporées. Ça fera 2 ans, 2 ans qu’elle est partie, emportant avec elle toute la lumière du monde. Oui, elle était le Soleil, même plus que ça ; elle donnait le sens de ma vie en ce monde. Elle en était l’essence, l’intime nature. Et chaque jour, je repense à elle, à ses cheveux noirs doux comme de la soie, ses yeux bruns, sa bouche ; tout en elle était parfait, chacun des détails de son visage était un petit monde où je me perdais un peu plus chaque jour. Sa voix était une mélodie plus douce que le murmure d’un ruisseau, ses mots étaient la clé du Paradis…

Il est bien tard, je vais rentrer me coucher, me préparer à affronter demain qui sera encore plus pénible et ennuyeux que hier, mourir un peu plus encore, car chaque jour est un pas de plus vers la fin.

Puis 6 heures passent. Le réveil est étrangement facile ce matin, l’air me semble différent, comme s’il y allait avoir quelque chose de particulier aujourd’hui. J’ignore quoi, mais je le ressens au plus profond de moi, c’est étrange mais c’est ainsi. En plus, je n’ai même pas la volonté de lutter contre ce sentiment. Depuis longtemps, je préfère subir la vie que le Destin m’impose.

En sortant de chez moi, l’éclatante noirceur des nuages conforte mon sentiment. Aujourd’hui sera vraiment un jour particulier. Mais pourtant, lorsque j’arrive en cours, ce sont toujours les mêmes personnes qui sont aux mêmes endroits. Il y a encore quelques temps, je voyais dans ces visages des frères, d’autres esclaves de la routine des étudiants, prenant leur pause café-clope à la récréation et attendant péniblement la cloche salvatrice qui les libèrera de leur quotidien. Maintenant, je n’y vois plus que des fantômes, des âmes vides. Les paroles des professeurs s’évanouissent quelque part dans ces salles qui font mon quotidien et, par conséquent, mon ennui.

Puis arrive la fin des cours. Je me sens à nouveau un peu plus libre, mais ça ne durera pas bien longtemps, je ne le sais que trop. Et puis, après tout, à quoi sert d’être libre si l’existence même n’a plus de sens ? C’est elle qui me faisait me sentir vivant. Quand je vais la voir dans son ultime demeure, c’est comme si je mourais à nouveau. Je n’ai que quelques rues à traverser et d’habitude le chemin me semble horriblement long, un véritable calvaire. Pourtant, aujourd’hui, rien ne me semble plus doux. Puis j’arrive à la tombe décorée d’un bouquet de chrysanthèmes. J’allume une bougie. La petite flamme qui vacille me rappelle la vie, qui est si fragile, et qu’un coup de vent peut éteindre, comme ce jour où nous avions été au cinéma. Nous nous sommes séparés pour rentrer chez nous. Un peu plus tard, j’ai reçu un téléphone. Cette sonnerie, je m’en souviendrai toujours ; le monde m’est apparu depuis lors une disharmonie totale, car quelque chose s’est brisé dans mon cœur à cet instant.

Et après, la voix froide d’une infirmière m’annonça la mort de Katalina dans un accident de voiture. J’ai été la voir immédiatement et quand je suis entré dans la chambre, un médecin a tenté de m’expliquer les causes de sa mort, je ne l’ai même pas écouté. Elle était morte et quelle qu’en soit la manière, c’est tout ce qui compte. J’ai demandé à ce qu’on me laisse seul avec elle. Je suis resté là des heures durant, à me lamenter face à la mort des étoiles. Tout un ciel s’est éteint, tous les oiseaux ont cessé de chanter. Signe du destin, les nuages étaient particulièrement noirs, comme ce soir. Parfois, j’ai envie de m’envoler au dessus d’eux, découvrir ce qu’il y a au-delà.

Aujourd’hui, je crois que j’en ai le courage. J’ai décidé de monter sur la falaise derrière le cimetière. Plus je monte, plus je me sens léger, comme soulagé des maux de ce monde. Au sommet, je contemple le vide, ce vide éternel et absolu, pourtant si présent. Plus qu’un pas pour plonger dans l’infini, le tout ultime. Plus qu’un pas pour la retrouver enfin. Ici, il n’y a plus rien et là-bas, il y a tout. Il y a toi. Je peux te sentir, maintenant que je suis aux portes de l’Éternité. La plupart des gens la craignent, mais elle m’attire, parce que tu y es et que l’univers tout entier est en toi. Je vais enfin retrouver les couleurs du monde, retrouver le sens de la vie au sein même de la mort.

Adieu…