On se croyait dieux immortels, enfants éternels. Devant nous, on ne voyait que l’horizon à perte de vue. On n’imaginait pas qu’à force de s’en rapprocher, cet horizon laisserait  place à un précipice sans fond. Et puis, c’est la chute, inexorable, nos bras fouettent l’air avec la rage du désespéré qui lutte à mort contre un destin qu’il sait pourtant invincible. Cette ultime lutte pour la survie serait vénérable si elle ne paraissait pas aussi vaine avec un peu de recul. Nous ne sommes ni oiseaux ni esprits, nous ne sommes qu’un amas de chairs pesant et bientôt mort, nos viscères maculeront la terre, puis seront engloutis par elle. Elle nous vomira ainsi dans la bouche d’autres Sisyphes insouciants qui perpétueront à jamais ce risible spectacle qu’est l’humanité.

J’envie les disparus, j’envie ceux-là qui ne souffrent plus, qui dans les caresses de la mort ont trouvé un précieux réconfort. On me dira qu’avoir peur de la mort est naturel,  que l’aimer est suicidaire. Mais pourtant je ne la désire pas, je ne la repousse pas, je me sens forcé à continuer le jeu de la vie alors que j’aurais voulu quitter la table il y a bien longtemps. Bien sûr, quelques péripéties , quelques rencontres vont venir épicer la fade bouillie de l’existence. Mais comment faire quand on est pleinement conscient que ces parfums ne sont là que pour rendre cet indigne aliment quelque peu acceptable alors qu’au fond, la vie restera toujours ce qu’elle est: de la merde?